Introduction :
Loin…
Le vent gémit et hurle, exaltant son haleine amère, La foudre gronde et aboie. Une force vivante fait rage sur la plaine de pierre scintillante. Les Démons eux-mêmes ont peur.
Les cicatrices du cataclysme défigurent la plaine qui n’a jamais, auparavant, connu une telle ère de noire perfection. Une faille déchiquetée balafre sa face comme un éclair coruscant. Nulle part cette fissure n’est assez large pour qu’un enfant ne puisse la traverser d’un bond, mais elle parait abyssale. Des écharpes de brume se déploient. Certaines s’ourlent de touches de couleur. Toute couleur jure avec des milliers de nuances de noir et de gris.
Au centre de la plaine se dresse une vaste forteresse grise inconnue, plus vieille que toute mémoire écrite. Une antique tour s’est effondrée au travers de la faille. Depuis la place forte monte un long et profond battement, pareil à celui d’un monde assoupi, qui déchire le silence sans âge.
La mort est éternité.
L’éternité est pierre.
La pierre est silence.
La pierre ne peut parler, mais elle se souvient.
La mort est éternité.
L’éternité est pierre.
La pierre est silence.
La pierre se tait, mais elle se souvient.
Profondément enfoui au cœur ténébreux de la place forte grise, se dresse un trône massif et vermoulu. Il a glissé sur le côté et basculé de façon spectaculaire. Une silhouette sombre se vautre sur le trône, captive d’un sommeil enchanté, clouée au siège par des dagues d’argent qui lui transpercent les membres. Son visage jadis inexpressif est défiguré par une grimace d’agonie.
La silhouette inhale une longue goulée d’air. Le silence cède le pas à un sourd, lent et puissant battement.
C’est une forme d’immortalité, mais dont le prix se paie en diamants, en seaux de trésors remplis à ras bord.
La nuit, quand le vent ne souffle plus et que de petits Démons cessent de ramper, la forteresse recouvre son silence.
Le silence est pierre.
La pierre est éternité.
L’éternité est mort.
La mort est éternité.
L’éternité est pierre.
La pierre est silence.
La pierre est brisée.
La nuit, quand le vent cesse de gémir et que les petits Démons vont se tapir, il arrive parfois à la pierre de chuchoter. La pierre parle quelquefois. Elle envoie parfois ses enfants plonger dans l’abîme. Quelques fois une écharpe de brume colorée se lève pour caresser la silhouette clouée au trône incliné.
Des Démons malins détalent dans la plaine qui scintille au clair de lune, s’entre-dévorent et prennent des forces. Leurs souvenirs sont aussi anciens que la roche. Ils se rappellent la liberté.
Parfois, le trône bascule encore d’un millionième de centimètre. Cela se produit de plus en plus fréquemment.
La pierre frémit.
L’éternité dévore, en ricanant, sa propre queue.
Cette fête glacée touche à sa fin.
La mort elle-même ne tient plus en place.
La pierre frissonne.
L’éternité dévore, en ricanant, sa propre queue.
Cette fête glacée est pratiquement achevée.
La mort elle-même ne tient plus en place.
Les murs saignent.
Les ténèbres de la forteresse grise sont difficiles à percer, mais des gouttes de sang veineux, teint de pourpre cardinalice, ont commencé à suinter des fissures entre les pierres. La lumière qui monte de l’abysse les fait scintiller. De menus Démons se querelles alentour avec voracité.
Un corbeau observe.
La brume de l’abysse menace d’envahir la forteresse. La moitié du trône incliné en est recouverte. Le trône bascule à présent dangereusement. La silhouette donne l’impression qu’elle pourrait glisser dans la brume si elle n’était pas clouée au trône.
Celui-ci ripe encore d’un millionième de millimètre. Un grognement s’échappe de la silhouette torturée. Ses yeux aveugles papillonnent.
Un corbeau croasse.
Il n’y a pas de silence.
La pierre est brisée.
Là où s’ouvre la moindre fissure, la vie prendra racine.
Et la lumière trouvera le moyen de s’infiltrer.
Il y a de la couleur.
Une manière de vie.
Sans lumière, il ne saurait y avoir de ténèbres.
Et de la mort aussi.
Les rauques glapissements de centaines de corbeaux environnent le trône incliné.
La mort trouvera un passage.
Les ténèbres se feront un chemin.
Les ténèbres viennent toujours.
La chose, aveugle, assise sur le trône a les yeux écarquillés.
Nulle pupille ne luit dans ses orbites. Ses yeux sont pareils à la lune lorsqu’elle est bien pleine, pourtant la créature donne l’impression de voir.
Elle est assurément consciente. Son visage se tourne, grimaçant de souffrance, chaque fois qu’elle décèle un espion téméraire provenant du monde réel. Elle bande sa volonté vers chaque intrus, avide de le voir atterrir. Dès qu’un oiseau chétif désobéit à ses ordres, ses traits se crispent en un rictus maléfique.
La terre frémit.
Le trône glisse d’un pied, bascule d’un autre centimètre. L’inquiétude, sur le visage du dormeur, sous-tend une souffrance sans cesse renouvelée.
La faille de la croûte terrestre s’élargit encore. La couleur gagne en vivacité. Une brise souffle des entrailles de la terre.
Plus froide que le cœur d’une araignée vorace. Et porteuse d’une vapeur noire.
Le trône bouge encore d’un centimètre.
La mort trouvera son chemin.
Les Dieux eux-mêmes doivent mourir.
La nuit, quand le vent cesse de gémir au travers de la forteresse qui se dressait ici avant la plaine qui s’étendait ici avant même les premiers hommes, avant même le premier Ordre, se mit en marche. La pierre chuchote.
La pierre éclôt.
Grandit.
La pierre bourgeonne et fleurit.
Un millier de piliers se dressent là ou nul pilier ne s’était levé avant. Le clair de lune balaie la plaine, faisant scintiller les caractères qui prennent forme, en mémoire de quelques-uns qui sont tombés.
C’est une forme d’immortalité.
Ecoutez le chant du vent. Il parle, la pierre murmure aussi quelques mots.
Ecoutez.
L’eau dort.
L’eau peut dormir. L’ennemi lui, ne dort jamais.
Juste une éternelle survie. Nous reviendrons. Nous sommes votre fin.7